Arrêt cardiaque : impact économique en France et en Europe.
“Le développement de stratégies préventives représentent des leviers économiques majeurs pour réduire un fardeau financier considérable.”
Un enjeu de santé publique majeur
L’arrêt cardiaque extra-hospitalier représente l’une des urgences médicales les plus dramatiques de notre époque. Au-delà de la tragédie humaine qu’il constitue, cet événement brutal génère un impact économique considérable, souvent méconnu du grand public et même des décideurs. En tant que médecin urgentiste et dirigeant de Staying Alive , organisation dédiée à l’amélioration de la survie lors d’arrêts cardiaques, il me semble essentiel de quantifier et d’analyser ce fardeau économique pour mieux comprendre les enjeux qui nous attendent.
Le contexte des maladies cardiovasculaires : un fardeau économique européen
Pour appréhender l’impact économique spécifique de l’arrêt cardiaque, il convient d’abord de le replacer dans le contexte plus large des maladies cardiovasculaires, dont il constitue l’une des manifestations les plus aigües. En Europe, ces pathologies représentent un défi économique de première ampleur.
Les chiffres européens de 2021 sont éloquents : le coût total des maladies cardiovasculaires a atteint 282 milliards d’euros, soit 630 euros par citoyen européen⁴. Cette somme colossale, qui dépasse le budget total de l’Union européenne, se décompose en plusieurs postes révélateurs de la complexité de cette problématique.
Les soins de santé directs représentent la part la plus importante avec 130 milliards d’euros (46% du total), mais ils ne constituent que la partie visible de l’iceberg. Les soins informels, assurés par les familles et les proches, atteignent 79 milliards d’euros (28%), témoignant de l’impact considérable sur l’entourage des patients. Plus préoccupant encore, les pertes de productivité liées aux décès prématurés s’élèvent à 32 milliards d’euros (12%), révélant l’ampleur des vies brisées en pleine activité professionnelle.
La situation française : entre spécificités nationales et tendances européennes
La France n’échappe pas à cette réalité économique. Les maladies cardio-neurovasculaires concernent 8% de la population française et représentaient en 2019 une dépense moyenne de 3 448 euros par patient², avec une progression annuelle préoccupante de 3% des dépenses totales.
L’évolution temporelle est particulièrement significative : le coût total attribuable aux maladies cardiovasculaires en France est passé de 15,6 milliards d’euros en 2014 à une projection de 18,7 milliards d’euros en 2020, soit 0,8% du PIB national³. Cette progression constante reflète à la fois le vieillissement de la population, l’amélioration des techniques de prise en charge (qui prolongent la survie mais augmentent les coûts), et l’évolution des modes de vie.
L’exemple de l’insuffisance cardiaque, pathologie étroitement liée à l’arrêt cardiaque, illustre parfaitement cette réalité : en 2022, l’Assurance Maladie a consacré plus de 1,4 milliard d’euros aux seuls soins de ville pour cette pathologie chronique⁶. Les hospitalisations, quant à elles, représentent entre 85 et 93% du coût total de prise en charge¹.
L’arrêt cardiaque : une urgence aux coûts démultipliés
L’arrêt cardiaque extra-hospitalier présente des caractéristiques économiques particulières qui amplifient son impact financier. Contrairement à d’autres pathologies cardiovasculaires qui évoluent progressivement, l’arrêt cardiaque est un événement brutal, imprévisible, qui mobilise immédiatement des ressources considérables.
Les coûts directs : une mobilisation d’urgence coûteuse
La prise en charge d’un arrêt cardiaque déclenche une cascade d’interventions coûteuses. La mobilisation simultanée du SAMU, du SMUR, des services de sapeurs-pompiers et des équipes hospitalières d’urgence représente un investissement immédiat considérable. Pour les survivants, s’ajoutent les coûts d’hospitalisation en soins intensifs, souvent prolongée, ainsi que les programmes de rééducation et de suivi post-arrêt cardiaque.
Les coûts indirects : l’impact invisible mais majeur
Paradoxalement, ce sont les coûts indirects qui représentent le fardeau économique le plus lourd. L’arrêt cardiaque frappe souvent des personnes en âge de travailler, générant une perte de productivité immédiate et définitive. En Europe, ces pertes liées à la mortalité prématurée atteignent 32 milliards d’euros par an⁴.
L’impact sur les familles constitue un autre poste économique majeur, souvent négligé dans les analyses traditionnelles. Les 79 milliards d’euros consacrés aux soins informels en Europe témoignent de cette réalité : conjoint contraint de réduire son activité professionnelle, enfants perturbés dans leur scolarité, réorganisation complète de la vie familiale.
Un taux de survie qui aggrave le bilan économique
Le caractère particulièrement dramatique de l’arrêt cardiaque réside dans son taux de survie encore insuffisant. En France, il varie entre 3% et 8%, en dessous de la moyenne européenne de 7,6%⁵. Cette faible survie signifie que la majorité des investissements consentis pour la prise en charge d’urgence ne débouchent pas sur une récupération, maximisant ainsi le ratio coût/bénéfice défavorable.
Une approche comparative révélatrice
L’analyse comparative des différentes composantes du coût des maladies cardiovasculaires en Europe révèle des enseignements précieux pour l’arrêt cardiaque. La répartition des 282 milliards d’euros montre que les coûts directs de soins (46%) sont certes importants, mais que les coûts indirects (54%) représentent plus de la moitié du fardeau économique total.
Cette répartition suggère que les stratégies d’amélioration de la prise en charge de l’arrêt cardiaque doivent impérativement intégrer une dimension préventive et d’amélioration de la survie, plutôt que de se concentrer uniquement sur l’optimisation des coûts de prise en charge d’urgence.
Perspectives et enjeux d’avenir
L’analyse économique de l’arrêt cardiaque révèle un paradoxe fondamental : chaque amélioration du taux de survie génère potentiellement des économies considérables à long terme, tout en nécessitant des investissements initiaux importants. C’est dans cette logique que s’inscrivent les initiatives de formation du grand public aux gestes de premiers secours et de déploiement de réseaux de citoyens sauveteurs comme Staying Alive
L’amélioration de la survie de l’arrêt cardiaque de quelques points de pourcentage pourrait générer des économies se chiffrant en milliards d’euros à l’échelle européenne, tout en préservant des milliers de vies et de familles. Cette perspective transforme la question de l’arrêt cardiaque d’un coût subi en un investissement stratégique pour nos sociétés.
Conclusion
L’arrêt cardiaque extra-hospitalier, en tant que composante dramatique des maladies cardiovasculaires, pèse lourdement sur l’économie française et européenne. Avec un coût global des maladies cardiovasculaires approchant les 19 milliards d’euros par an en France et dépassant les 280 milliards d’euros en Europe, soit plus de 11% des dépenses de santé de l’UE, l’enjeu dépasse largement le cadre médical pour devenir un défi sociétal majeur.
La spécificité de l’arrêt cardiaque – événement brutal, taux de survie faible, impact sur des populations actives – en fait un révélateur particulièrement aigu de ces enjeux économiques. L’amélioration de la survie et le développement de stratégies préventives ne constituent pas seulement des impératifs médicaux et éthiques, mais représentent également des leviers économiques majeurs pour réduire ce fardeau financier considérable.
Face à ces chiffres, l’investissement dans la formation du grand public, le déploiement de technologies d’alerte et la mobilisation citoyenne comme Staying Alive apparaissent non plus comme des coûts, mais comme des investissements stratégiques pour l’avenir de nos systèmes de santé et de nos sociétés.
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Sources :
1. [Impact économique des maladies cardiovasculaires](https://www.lissa.fr/rep/articles/12722549)
2. [Coût des maladies cardioneurovasculaires en France](https://www.edimark.fr/revues/la-lettre-du-cardiologue/n-551-552-fevrier-2022/le-cout-des-maladies-cardioneurovasculaires-enfrance-etson-evolution)
3. [Maladies cardiovasculaires en Europe](https://www.euractiv.fr/section/sante/news/les-maladies-cardiovasculaires-coutent-le-pib-de-la-hongrie-a-6-pays-de-l-ue/)
4. [Coût européen des maladies cardiovasculaires](https://www.lespecialiste.be/fr/actualites/le-cout-des-maladies-cardiovasculaires-en-europe-est-plus-eleve-que-le-budget-total-de-l-ue.html)
5. [Arrêt cardiaque : la France face au défi international](https://stayingalive.org/2025/05/22/arret-cardiaque-la-france-face-au-defi-international/)
6. [Dépenses insuffisance cardiaque France](https://fr.statista.com/statistiques/608973/insuffisance-cardiaque-chronique-depenses-assurance-maladie-par-type-france/)